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france périphérique - Page 3

  • La fin de la classe moyenne occidentale...

    Les éditions Flammarion viennent de publier un essai de Christophe Guilluy intitulé No society - La fin de la classe moyenne occidentale. Géographe, Christophe Guilluy est l'auteur de trois essais importants et très commentés, Fractures françaises (Flammarion, 2010), La France périphérique (Flammarion, 2014) et Le crépuscule de la France d'en haut (Flammarion, 2016).

     

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    " «There is no society» : la société, ça n’existe pas. C’est en octobre 1987 que Margaret Thatcher prononce ces mots. Depuis, son message a été entendu par l’ensemble des classes dominantes occidentales. Il a pour conséquence la grande sécession du monde d’en haut qui, en abandonnant le bien commun, plonge les pays occidentaux dans le chaos de la société relative. La rupture du lien, y compris conflictuel, entre le haut et le bas, nous fait basculer dans l’a-société. Désormais, no more society. La crise de la représentation politique, l’atomisation des mouvements sociaux, la citadellisation des bourgeoisies, le marronnage des classes populaires et la communautarisation sont autant de signes de l’épuisement d’un modèle qui ne fait plus société. La vague populiste qui traverse le monde occidental n’est que la partie visible d’un soft power des classes populaires qui contraindra le monde d’en haut à rejoindre le mouvement réel de la société ou bien à disparaître. "

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  • Quand les "petits Blancs" bousculent les réseaux sociaux...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par François Bousquet à Boulevard Voltaire à l'occasion de la sortie du dernier numéro de la revue Éléments, dans lequel il évoque la contre-culture radicale, percutante et tout sauf politiquement correcte plébiscitée sur les réseaux sociaux par la jeunesse de la France périphérique...

     

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    François Bousquet : Cette jeunesse française 2.0 constitue un angle mort… Elle a seulement droit à l’épithète infamante (et, pour le coup, stigmatisante) de « petits » Blancs

    Au sommaire de la dernière livraison d’Éléments : les jeunes réacs qui démodent Mai 68. Mais ceux de vos lecteurs qui s’attendent à trouver dans votre dossier un portrait de la Manif pour tous en seront pour leurs frais, c’est à la jeunesse de la France périphérique que vous vous intéressez…

    La France des invisibles dans ses tranches d’âge les plus jeunes : les 16-25 ans. Comme leurs parents déclassés, qui votent Marine Le Pen ou s’abstiennent massivement, eux aussi ont fait sécession, faute de susciter l’intérêt des chercheurs en sciences sociales et des journalistes. Pas assez exotiques pour les salles de rédaction parisiennes où le couplet sur « Nos ancêtres les Gaulois ! » a été chassé par celui sur « Nos ancêtres les Africains ! » Sortie des écrans radar médiatiques, cette jeunesse française 2.0 constitue un angle mort statistique, sociologique, politique, médiatique. Elle a seulement droit à l’épithète infamante (et, pour le coup, stigmatisante) de « petits » Blancs. Faute d’appartenir aux « minorités visibles », elle n’a ni les faveurs des médias ni celles des politiques de la ville. Aucun plan Borloo ne lui a jamais été destiné, aucun sociologue pour s’apitoyer sur son sort, aucun crédit budgétaire à son attention, aucune ZEP (les zones d’éducation prioritaire). Même Michel Houellebecq, qui était sans doute le mieux placé pour en dresser le portrait, a fini par avouer, non sans franchise, qu’il ne la connaissait pas. Circulez, y a rien à voir ! Or, elle existe, cette jeunesse, et elle revient de loin. Des années de décérébration scolaire, de déculturation planifiée, de discrimination positive qui ne dit pas son nom, où l’histoire de l’esclavage, de la Shoah, des royaumes africains a progressivement envahi les programmes scolaires. Résultat : on a fabriqué une génération d’amnésiques contraints de reconstruire leur identité à partir de rien, sinon du seul langage que ces jeunes maîtrisaient : celui des réseaux sociaux, du rap, des séries télévisées, des jeux vidéo. Raison pour laquelle ils sont aussi déroutants pour leurs aînés. C’est avec les outils de la culture juvénile et numérique qu’ils se sont réappropriés leur identité. Le Web est devenu leur terrain de jeu, l’exutoire de leurs frustrations sociales et leur champ de bataille.

    Comment?

    Ils ont colonisé Internet en annexant les forums avec leurs « trolls » (messages polémiques) et en inondant les plates-formes d’hébergement de vidéos comme YouTube et Dailymotion. À partir de quoi ils ont pu diffuser cette contre-culture querelleuse propre à la « réacosphère », encore largement informelle, mais violemment anti-système. À la manœuvre, des youtubeurs et des blogueurs qui cumulent des dizaines de millions de vues, dans le silence assourdissant des médias centraux, du Raptor dissident au Chat patriote, de Papacito au Lapin taquin. « Aujourd’hui, s’enorgueillit ce dernier, l’institution, c’est Canal+, la subversion, c’est nous. » Nombre d’entre eux se font fait connaître via un forum en ligne à la popularité inégalée, consacré aux jeux vidéo : la section 18-25 ans du site jeuxvideo.com, qui se trouve être le 24e site le plus consulté de France (des dizaines de messages y sont postés chaque minute). Ce forum est le premier réseau social chez les jeunes en France. Il n’est pas exagéré de dire qu’il constitue le bruit de fond d’une colère souterraine qui enfle. Ces réserves de colère légitime ne demandent qu’à être canalisées pour trouver un débouché politique.

    Entre tous, il y a le dessinateur Marsault, qui fait votre couverture « coup de poing », c’est le cas de le dire, puisqu’on y voit un personnage esquisser un direct du gauche…

    « Marsault, c’est la rencontre entre le dessinateur Gotlib, le boxeur Mike Tyson et l’écrivain Charles Bukowski », dit de lui son éditeur, David Serra, le patron de la maison Ring. Comme il est politiquement et graphiquement incorrect, vous ne le verrez ni chez Laurent Ruquier ni à « La Grande Librairie ». C’est pourtant un phénomène de société. Mieux : de contre-société. Plébiscité par la jeunesse, snobé par le Système. Près de 300.000 abonnés sur sa page Facebook. Le dessinateur ne gomme pas, il dégomme. C’est de la bande dessinée gros calibre ! Son personnage emblématique s’appelle Eugène. « Un gars baraqué qui fait 120 kg de muscle et met des tartes aux vieilles gouines socialistes et aux clodos qui portent des dreads », résume son créateur. Le Rambo des ploucs – en plus droitard et en plus franchouillard. Une machine à distribuer des bourre-pif supersoniques. « Breum, breum ! » Breum, c’est la signature balistique d’Eugène et la marque de fabrique de Marsault qui, à 30 ans, affiche un beau palmarès de serial dessinateur : deux volumes de Breum : Attention, ça va piquer (2016) et Blindage et liberté (2016) ; Sans filtre, l’intégrale (2017) ; et Dernière pute avant la fin du monde (2017), tous parus chez Ring. Autant dire que ça décoiffe, même ceux qui ont la nuque un peu raide. Marsault dessine comme on monte un mur de parpaings, ou plutôt comme on le démolit. Entrepreneur de démolitions, disait Léon Bloy. C’est cru, brutal, expéditif. Les 120 kg de muscle d’Eugène mettent rapidement un point final à la conversation. Breum ! À la machette ou à l’AK-47. Ses victimes sortent généralement d’une section parisienne du Parti socialiste, d’une AG de zadistes loqueteux, d’un squat pouilleux au milieu d’une fac de sociologie – occupée ou pas. Que nous dit le succès de Marsault ? Que la subversion a changé de camp et même d’hémisphère, qu’elle s’est installée à droite, chez les « petits » Blancs. C’est là, désormais, que le talent s’épanouit, à la lisière du Système, pas complètement en dehors – sans cela, c’est la mort sociale –, mais surtout pas en son centre – c’est la mort de l’originalité. Et Marsault est assurément un des plus originaux de sa génération. Breum lecture, comme dirait Eugène !

    François Bousquet (Boulevard Voltaire, 21 mai 2018)

     

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  • La France périphérique va-t-elle exploser ?...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien donné par Christophe Guilluy à Natacha Polony pour son émission Polonium sur Paris Première, dans lequel il évoque les résultats des élections présidentielles et la question de la France périphérique broyée par la mondialisation. Géographe, Christophe Guilluy est déjà l'auteur de trois essais importants, Fractures françaises (Flammarion, 2010), La France périphérique (Flammarion, 2014) et Le crépuscule de la France d'en haut (Flammarion, 2016).

     

                               

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  • Vers la grande confusion...

    Nous reproduisons ci-dessous l'entretien donné par Alain de Benoist à Breizh info à propos des résultats du premier tour de l'élection présidentielle. Philosophe et essayiste, éditorialiste du magazine Éléments, Alain de Benoist dirige les revues Nouvelle Ecole et Krisis et anime l'émission Les idées à l'endroit sur TV Libertés. Il a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017) ainsi qu'un recueil d'articles intitulé Ce que penser veut dire (Rocher, 2017).

     

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    Alain de Benoist : « Emmanuel Macron est une petite chose caractérielle, manipulable et incapable de décision »

    Breizh-info.com : Quels enseignements tirez-vous du premier tour de l’élection présidentielle ? En quoi diffère-t-elle de toutes celles qui l’ont précédée ?

    Alain de Benoist : Le fait capital de cette élection, celui qui lui confère un véritable caractère historique, ce n’est ni le phénomène Macron ni la présence de Marine Le Pen au second tour. C’est la déroute totale des deux ancien grands partis de gouvernement, le PS et Les Républicains. Je l’avais laissé prévoir ici même en février dernier, à un moment où personne ne semblait s’en aviser : pour la première fois depuis que le chef de l’État est élu au suffrage universel, aucun des deux partis qui depuis près d’un demi-siècle ont gouverné la France en alternance ne sera présent au second tour.

    Dans le passé, ces deux partis n’avaient jamais représenté à eux deux moins de 45 % des suffrages (57 % en 2007, 55,8 % en 2012). Aujourd’hui, ils en représentent ensemble à peine un quart (Fillon 19 %, Hamon 6 %), moins que Sarkozy en 2007 ou Hollande en 2012. Tous deux se retrouvent à l’état de champs de ruines et au bord de l’implosion. Leur décomposition marque la fin de la Ve République telle que nous l’avons connue. Ce sont eux les grands perdants du scrutin.

    Ce coup de tonnerre sans précédent ne doit pourtant pas surprendre, car il est parfaitement conforme au schéma populiste. Dans tous les pays où le populisme marque des points, ce sont les partis représentant l’ancienne classe dirigeante qui en pâtissent le plus. On a vu cela en Grèce, en Espagne, en Autriche et ailleurs. Maintenant, c’est l’heure de la France. Et ce n’est sans doute qu’un début, puisque nous allons sans doute nous diriger maintenant vers une période d’instabilité, de crise institutionnelle et de grande confusion.

    Breizh-info.com : Est-ce la fin du système traditionnel droite-gauche que l’on a connu depuis des décennies ?

    Alain de Benoist : Les anciens partis de gouvernement étaient aussi ceux qui portaient le traditionnel clivage droite-gauche. Le curseur se déplaçait alors sur un plan horizontal, ce qui a lassé des électeurs qui de surcroît ne voient plus très bien ce qui distingue la droite de la gauche. Macron et Marine Le Pen ont en commun de surfer sur cette lassitude vis-à-vis du « Système ». Je répète ici ce que j’ai déjà écrit plusieurs fois : à l’ancien axe horizontal correspondant au clivage droite-gauche se substitue désormais un axe vertical opposant ceux d’en haut à ceux d’en bas. Le peuple contre les élites, les gens contre les puissants.

    On peut bien sûr vouloir conserver à tout prix le couple droite-gauche, mais alors il faut constater que les couches populaires sont de plus en plus à droite, tandis que la bourgeoisie est de plus en plus à gauche, ce qui constitue déjà une révolution.

    Breizh-info.com : Les résultats semblent également confirmer la fracture entre les métropoles et la « France périphérique », mais aussi entre la France qui compte le moins d’immigrés, qui vote Macron, et celle qui en compte le plus, qui vote Le Pen. Qu’en pensez-vous ?

    Alain de Benoist : Je pense en effet que le clivage Macron-Le Pen recouvre dans une très large mesure l’opposition entre la « France périphérique », celle des couches populaires humiliées, laissées pour compte, qui s’estiment à juste titre victimes d’une exclusion à la fois politique, sociale et culturelle, et celle des métropoles urbanisées où vivent les cadres supérieurs et les bobos, les classes possédantes et la bourgeoisie intellectuelle intégrée, qui profitent de la mondialisation et aspirent à toujours plus d’« ouverture ». D’un côté la France qui gagne bien sa vie, de l’autre celle qui souffre et qui s’inquiète.

    Mais cette opposition spatiale, particulièrement bien explorée par Christophe Guilluy, a aussi (et surtout) le sens d’une opposition de classe. Je partage à ce sujet l’opinion, non seulement de Guilluy, mais aussi de Mathieu Slama, selon qui « la lutte des classes ressurgit politiquement à la faveur d’un duel de second tour qui oppose le libéral Emmanuel Macron à la souverainiste Marine Le Pen ».

    « Derrière cette lutte des classes, ajoute Slama, se cache un affrontement entre deux visions du monde : la vision libérale et universaliste, qui ne croit ni en l’État ni en la nation, et la vision que l’on nomme aujourd’hui populiste ou encore souverainiste, qui veut restaurer l’État, les frontières et le sens de la communauté face aux ravages de la mondialisation ».

    L’erreur symétrique de la droite et de la gauche classiques a toujours été de croire que la politique pouvait s’extraire des enjeux de classe – la droite par allergie au socialisme et au marxisme, la gauche parce qu’elle croit que la classe ouvrière a disparu et que le peuple ne l’intéresse plus.

    Breizh-info.com : Que représente Macron ?

    Alain de Benoist : La morphopsychologie nous dit déjà qu’Emmanuel Macron est une petite chose caractérielle, manipulable et incapable de décision. Disons que c’est un algorithme, une image de synthèse, un milliardaire issu des télécoms, un joueur de flûte programmé pour mener par le bout du nez « selzésseux » qui ne voient pas plus loin que le bout de ce nez. C’est le candidat de la Caste, le candidat des dominants et des puissants. C’est un libéral-libertaire qui conçoit la France comme une « start up » et ne rêve que d’abolition des frontières et des limites, des histoires et des filiations. C’est l’homme de la mondialisation, l’homme des flux migratoires, l’homme de la précarité universelle. Le chef de file des « progressistes » par opposition à ceux qui ne croient plus au progrès parce qu’ils ont constaté que celui-ci n’améliore plus, mais au contraire assombrit leur ordinaire quotidien.

    Dans le passé, les milieux d’affaires soutenaient le candidat qu’ils estimaient le plus apte à défendre leurs intérêts (Alain Juppé en début de campagne). Cette fois-ci, ils ont jugé plus simple d’en présenter un eux-mêmes. Aude Lancelin n’a pas tort, à cet égard, de parler de « putsch du CAC 40 ».

    Breizh-info.com : L’échec de Jean-Luc Mélenchon ?

    Alain de Benoist : Échec tout relatif ! Orateur hors pair, tribun véritablement habité, Jean-Luc Mélenchon est celui qui, dans la forme et dans le fond, a fait la meilleure campagne électorale. En l’espace de quelques semaines, il a plus remonté dans les sondages qu’aucun autre candidat, écrabouillant au passage le Schtroumpf du PS, parvenant pratiquement au niveau de Fillon et doublant son score par rapport à 2012.

    Plus important encore, cette élection présidentielle lui a donné la possibilité d’incarner un populisme de gauche qui, avant lui, n’existait qu’à l’état d’ébauche. Vous aurez peut-être remarqué qu’il a commencé à monter dans les sondages à partir du moment où il n’a plus parlé de la « gauche » dans ses discours, mais seulement du « peuple ». C’est un détail révélateur. Ajoutons à cela que, contrairement à Hamon ou Duflot, il a eu le courage de ne pas appeler à voter en faveur de Macron. Personnellement, je regrette beaucoup qu’il ne soit pas au second tour.

    Breizh-info.com : Marine Le Pen a-t-elle encore des chances de l’emporter ? Quels doivent être les principaux axes de sa campagne ? Où se trouve son réservoir de voix ?

    Alain de Benoist : Ses chances au second tour sont a priori assez faibles, puisque tous les sondages la donnent pour battue. Ses principaux concurrents ont appelé à voter pour Emmanuel Macron, à commencer par François Fillon (ce qui ne manque pas de sel), mais il reste à savoir si leurs consignes seront suivies. Les reports de voix ne sont jamais automatiques. Outre les abstentionnistes, Marine Le Pen peut espérer recueillir au moins un tiers des voix de Fillon, plus de la moitié de celles de Dupont-Aignan, voire 10 ou 15 % des voix de Mélenchon, mais je doute que cela lui permette de remporter la victoire. Le score du second tour devrait s’établir à 60/40, ou à 55/45 dans le meilleur des cas.

    Cela dit, avec 21,4 % des voix (contre 17,9 % en 2012), Marine Le Pen marque sérieusement des points, non seulement parce qu’elle accède au second tour, mais aussi parce qu’elle rassemble près de huit millions de suffrages (le double de son père en 2002), contre seulement six millions aux dernières élections régionales. Le plus important est qu’elle surclasse le PS et Les Républicains, ce qui pose le FN en principale force d’opposition face à la future coalition « progressiste » de Macron.

    Disons néanmoins que sa campagne fut assez inégale. Pas assez de lyrisme, pas assez d’émotion : elle sait se faire applaudir, mais elle ne sait pas faire vibrer. Dans son clip de campagne, le peuple était d’ailleurs absent.

    Sa seule chance de gagner est de faire comprendre à la majorité des Français que le second tour ne sera pas un vote pour ou contre le Front national, mais un référendum pour ou contre la mondialisation. Il faudrait aussi qu’elle soit capable de convaincre en priorité les électeurs de gauche qu’il serait insensé de leur part d’apporter leur suffrage à l’homme de la casse sociale et de la loi El Khomri, de la dictature des actionnaires et de la toute-puissance des marchés financiers, au porte-parole du Capital pour qui la politique n’est qu’un instrument à mettre au service des intérêts privés.

    Breizh-info.com : Êtes-vous surpris de la faible mobilisation dans la rue contre Marine Le Pen, contrairement à ce que l’on avait vu en 2002 ?

    Alain de Benoist : Je n’en suis pas surpris du tout. L’élection de 2002 n’a aucun rapport avec celle que nous venons de vivre. Il n’y a que les diplodocus et les « antifas » pour ne pas comprendre que nous avons changé d’époque.

    Breizh-info.com : Une remarque finale ?

    Alain de Benoist : Si un scénariste avait écrit par avance l’histoire de cette campagne électorale telle qu’elle s’est effectivement déroulée, aucun réalisateur n’aurait jugé son scénario crédible. Elle a en effet déjoué tous les pronostics. François Hollande a rêvé pendant des années de solliciter un second mandat, mais il a finalement dû y renoncer. On le donnait pour un fin manœuvrier, mais il a perdu le contrôle de son propre parti. La droite considérait que cette élection était « imperdable », et pourtant elle l’a perdue. Les primaires étaient censées renforcer le pouvoir des partis et consacrer les mieux placés pour l’emporter (Sarkozy ou Juppé, Valls ou Montebourg), elle les a définitivement affaiblis et n’a sélectionné que des « outsiders » qui n’ont pas brillé.

    Quant au phénomène Macron, personne ne l’imaginait possible il y a encore un an. Cela montre qu’en politique, rien n’est jamais joué par avance. L’histoire est toujours ouverte.

    Alain de Benoist (Breizh info, 25 avril 2017)

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  • Guilluy : "Le FN est le parti de la fin de la classe moyenne"...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Christophe Guilluy à l'Express et consacré à la disparition de la classe moyenne et à l'émergence des nouvelles classes populaires de la France périphérique. Géographe, Christophe Guilluy est l'auteur de plusieurs essais marquants comme Fractures françaises (Bourin, 2010), La France périphérique (Flammarion, 2014) ou, dernièrement, Le crépuscule de la France d'en haut (Flammarion, 2016).

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    "Le FN est le parti de la fin de la classe moyenne"

    Dans La France périphérique (1), vous prononciez la mort clinique du concept de "classe moyenne" et plaidiez pour que l'on s'affranchisse sans délai de cette classification... Pourquoi? 

    Je vous le confirme: nous vivons le temps de la disparition de la classe moyenne. En France, mais aussi en Europe et aux Etats-Unis. C'est là le grand événement politique, sociologique, culturel des dernières décennies, et nous faisons comme si cette classe moyenne existait toujours. Je vois bien l'intérêt: continuer d'y ranger artificiellement "deux Français sur trois" - pour reprendre la fameuse estimation de Giscard - permet de prétendre que les politiques menées depuis trente ans n'ont finalement pas trop échoué... Comme si, bon an mal an, elles avaient profité à la majorité, et dysfonctionné seulement "à la marge", en banlieues ou chez les ruraux, par exemple.  

     

    Or la réalité nous dit exactement l'inverse: quand on regarde les niveaux de vie, les taux de chômage, les taux de précarisation et la nouvelle géographie sociale - qui maintient les plus modestes les plus éloignés des zones qui créent l'emploi -, on constate une distorsion de plus en plus importante de ce que j'appelle les nouvelles catégories populaires. 

    Le concept de classe moyenne brouille les cartes: professions intellectuelles à Paris, nous appartiendrions à la classe moyenne, et l'ouvrier d'Hénin-Beaumont aussi? Soyons sérieux! D'ailleurs, ce concept marche tellement mal que vous avez désormais des sociologues qui parlent de classes moyennes inférieures, et même de classes moyennes "inférieures-inférieures"... 

    Quelles sont ces nouvelles catégories populaires dont vous parlez? 

    D'abord les ouvriers, et les employés - qui constituent toujours, rappelons-le, une majorité de la population active. Si l'on y ajoute les petits indépendants, les paysans, mais aussi une partie des jeunes et des retraités issus de ces catégories, on arrive à la majorité de la population française. C'est en travaillant sur la répartition de ces catégories dans l'espace que je suis arrivé au constat de l'existence d'une France périphérique.  

    Pour la première fois dans l'histoire, la majorité de ces catégories ne vit pas là où se crée la richesse, mais à l'écart des métropoles, dans des petites et moyennes villes et des espaces ruraux: contrairement à feu la classe moyenne, elles ne font plus partie de l'histoire économique et presque plus de l'histoire culturelle du pays. Elles sont invisibles. Si vous êtes parisien, vous allez croiser des gens qui vivent à Berlin, à Buenos Aires ou à Milan, mais un habitant de la Creuse, jamais!  

    Oui, c'est ça: il y a moins de distance entre un Parisien et un New-Yorkais qu'entre un Parisien et un Creusois. Tous les grands débats autour de "comment parler aux électeurs du FN" sont hors sol à partir du moment où l'on ne prend pas en compte l'essentiel, c'est-à-dire le système économique mondialisé. Un système qui, en divisant le travail à l'échelle internationale, a induit une sortie de la classe moyenne de presque tous ceux qui la constituaient auparavant. 

    Est-ce la clef essentielle, selon vous, de la compréhension du vote Front national? 

    Oui, le FN est le parti de la fin de la classe moyenne. Comme Donald Trump l'est aux Etats-Unis. Méfions-nous: ceux que l'on nomme "populistes" aujourd'hui sont souvent les responsables politiques qui ont intégré ce fait: une majorité des petites classes salariées est en train de sortir de l'histoire économique des pays développés. Il y a d'abord eu les ouvriers - c'est mathématique: à partir du moment où l'on avait fait le pari de faire travailler l'ouvrier chinois ou indien plutôt que l'ouvrier français, il fallait s'y attendre...  

    Mais l'erreur de diagnostic a été de croire que cela s'arrêterait là! Qu'il y avait un problème très spécifique lié à la désindustrialisation et qu'en aucun cas cela ne toucherait les salariés du tertiaire. Or, aujourd'hui, on constate que même dans la fonction publique, vous avez des cadres catégories B et C qui votent en masse pour le Front national.

    En quoi ces derniers sont-ils touchés par la mondialisation? 

    Quand on s'intéresse à la France périphérique, il faut prendre en compte le facteur social, mais aussi le facteur culturel. J'ai inventé la notion d'"insécurité culturelle" il y a quelques années, alors que je travaillais avec des bailleurs sociaux à tenter d'expliquer la multiplication des demandes de déménagement émanant de cités sans problèmes de violence particuliers. J'y ai découvert un désarroi, né de la combinaison entre une forte instabilité démographique et la conversion de facto de notre société au modèle multiculturel, c'est-à-dire une société où l'autre ne devient pas soi.  

    Forcément, cela génère une inquiétude: l'autre ne devenant pas soi, on a besoin de savoir "combien va être l'autre". Dans son immeuble, son quartier, son village, etc. Le multiculturalisme à 1000 euros par mois, ça n'est pas la même chose qu'à 10000 euros par mois! Cela me frappe, d'ailleurs, de voir que certains quartiers bastions de la gauche bobo sont aussi ceux qui détiennent le record de "gruge" de la carte scolaire! 

    Cela étant dit, dans les cités, l'"insécurité culturelle" est loin de ne concerner que les "petits Blancs", ainsi que le veut la caricature. Si vous étudiez la géographie de la banlieue, vous constaterez, entre autres, qu'il y a eu un fort exode de Maghrébins en pleine ascension sociale: ils ne se sentaient plus "chez eux" avec l'arrivée de nouvelles populations immigrées. 

    Cela contredit un peu l'image des cités ghettos dont on ne peut jamais s'extraire... 

    Cette image du ghetto empêche de penser. D'abord, elle interdit, en effet, de voir qu'il y a ascension sociale des immigrés. D'ailleurs, le terme de "classe moyenne" a été très ethnicisé. Quand on dit qu'il n'y a plus de classe moyenne en banlieue, on sous-entend qu'il n'y a plus de Blancs. Or il y a des classes moyennes issues de l'immigration maghrébine, par exemple. En région parisienne, c'est très net. Comme quoi la République n'a pas été si nulle: il y a eu une intégration!  

    Ensuite, la notion de ghetto empêche de mesurer la réalité des flux migratoires permanents dans ces zones géographiques: beaucoup de gens arrivent, beaucoup de gens partent. La Seine-Saint-Denis, par exemple, a complètement changé. Il y a eu une migration maghrébine d'abord, mais, aujourd'hui, l'immigration y est davantage subsaharienne, sri lankaise ou pakistanaise. Tout s'est transformé. D'ailleurs, si cela ne bougeait pas, on n'aurait pas des jeunes qui dealent dans le hall de l'immeuble, mais des petits vieux qui tapent le carton! 

    Ces dernières années, on a vu le vote Front national grimper dans des endroits où l'on pensait qu'il ne s'y implanterait jamais. Dans des petites ou moyennes villes bretonnes, par exemple, où il n'y a pas beaucoup d'immigrés... 

    Analyse de Libération: ces gens sont complètement tarés, racistes, ils ont trop allumé leur téléviseur, ils ont trop écouté RTL et Zemmour (avant, c'était Pernaud). Il suffit de les rééduquer: ils rentreront dans le droit chemin! [Il rit.] Au passage: c'est très français de penser que tout vient d'en haut et arrive en bas, genre l'intellectuel qui guide le peuple... Et si l'on arrêtait de prendre les gens pour des imbéciles? Ils font un diagnostic de leur situation, de leur vie dans leurs quartiers, de leurs perspectives...  

    Dans le cas des petites et moyennes communes de Bretagne, les habitants ont vu évoluer la métropole du coin - Rennes, Brest ou Nantes -, et notamment les quartiers de logements sociaux de ces villes-là. Ils constatent l'installation progressive de problématiques qu'on leur disait cantonnées à Paris ou à Lyon. Et le vote FN émerge. Les reportages auxquels on a le droit, sur le thème "dans tel village, on a voté FN, alors qu'il n'y a pas d'immigrés", sont d'une condescendance crasse. 

    Pourquoi un type dans un village breton n'aurait-il pas le droit de penser quelque chose sur l'évolution démographique de Rennes? A ce titre, au reste, la dispersion des migrants dans les petits villages est catastrophique: c'est absurde d'installer des migrants afghans dans la Creuse ou la Lozère, où il n'y a pas de travail. On voudrait faire monter le FN qu'on ne s'y prendrait pas autrement! 

    De quel type de responsable politique pourrait venir ce que vous appelez de vos voeux dans vos travaux? 

    Mon espoir serait que tous y aillent. Mais le problème est qu'il leur faudrait penser contre leur camp. Et notamment contre notre modèle économique qui ne dysfonctionne pas stricto sensu. Vue de Paris, de Toulouse ou de Lyon, la mondialisation marche bien. Regardez la courbe du PIB en France: la production de richesses continue. Mais ce modèle ne fait pas société, il n'intègre pas tout le monde.  

    C'est là le grand changement: notre modèle ne fait plus société. Il est très difficile pour les tenants de ce modèle de concevoir qu'il faille y renoncer. Et pourtant! Tout le discours qui consiste à prôner des aménagements à la marge "en attendant le retour de la croissance" est voué à l'échec. On sait très bien que la croissance revenue se concentrerait dans les grandes métropoles!

    N'y aurait-il pas alors un ruissellement depuis les grandes villes vers la périphérie? 

    "Le ruissellement", c'était le grand truc de la Datar du temps du Minitel, dans les années 1970. Et puis il y a eu le numérique: avec le télétravail, on a prophétisé que les cadres allaient s'installer à la campagne, et qu'il y aurait une réintégration des territoires par le digital. Comme si vivre au fin fond du Cantal, c'était la même chose qu'à New York... Quelle arnaque! Evidemment, ce qui compte, à la fin, c'est de se rencontrer, d'échanger dans la vie réelle...  

    Pourquoi toutes les classes supérieures se concentrent-elles dans les grandes métropoles? Parce que c'est là où notre modèle économique fonctionne. Tant qu'on proposera des rustines du type "revenu universel" qui, au bout du compte, permettent juste au système de se maintenir dans son injustice, eh bien, on n'en sortira pas! Ce qui compte, aujourd'hui, c'est donner du pouvoir aux élus de la France périphérique, les laisser développer des projets, favoriser la gouvernance locale. Force est de constater qu'on en est loin, tant les réformes territoriales n'ont cessé d'affaiblir les collectivités (départements en tête) de cette France populaire. 

    On a fait le procès inverse au revenu universel: à savoir qu'il serait utopique et angélique, mais aussi antisocial... 

    Le revenu universel consiste à admettre que le seul avenir qu'on peut imaginer pour ces catégories-là, c'est de leur "refiler un billet", en espérant qu'elles n'iront pas trop exprimer leur colère dans les urnes. Bref, il revient à faire vivre les territoires par la redistribution, plutôt que par la création d'emplois... Et, bien sûr, c'est la gauche qui fait le sale boulot! C'est à désespérer...  

    Je n'exclus pas cependant qu'une partie importante de "la France d'en haut" soit dans cette logique- là. C'est-à-dire, au finish, dans une logique consciente ou inconsciente d'abandon. En vérité, il faudrait avoir le courage intellectuel de délaisser un peu les indicateurs économiques pour investir dans quelque chose qui ne rapporte pas grand-chose à court terme. Qu'est-ce que la base de la démocratie, finalement ? N'est-ce pas donner du pouvoir à ceux qui n'en ont pas? 

    Pour moi, les discours méprisants d'après Brexit - comme celui d'Alain Minc, qui a quasiment traité les électeurs du Brexit de débiles - constituent un grand danger. En France, il faut se pencher sur les catégories qui ne rapportent pas grand-chose économiquement, que l'on a ostracisées à travers le vote FN, et avec qui, pourtant, il faut d'urgence refaire société. Il y a un monde d'en haut qui se ferme de plus en plus et qui, paradoxalement, tient un discours d'ouverture. Il se referme dans un modèle qui ne bénéficie plus qu'à lui, en tenant des discours culturellement très open sur les bienfaits de la diversité, d'une part, et d'excommunication politique, d'autre part. 

    C'est pourquoi je parle de "crépuscule de la France d'en haut" (2). Cette France d'en haut est condamnée. Elle ne le sait pas encore, car elle va de victoire en victoire. Mais comme son modèle ne fait pas société, il n'est pas durable. Ce qui est durable, c'est une vie où les gens modestes ont leur place et ont des perspectives. 

    Les perspectives, c'est important? 

    Capital. Mais cela ne veut pas dire que l'objectif est forcément de devenir ministre ou trader! Rappelons-le, quand on naît dans un milieu populaire, son destin est de mourir dans un milieu populaire, et je vais vous dire, ça n'est pas grave: on peut faire sa vie modestement, et avoir des amours, des amitiés, faire des rencontres... Mais, pour cela, il faut être intégré économiquement, culturellement, politiquement et... géographiquement.  

    Or le modèle économique et territorial tend à restreindre les champs du possible: aujourd'hui, les logiques foncières interdisent aux enfants des catégories populaires de la France périphérique d'intégrer l'enseignement supérieur à Paris, à Lyon: payer une chambre de bonne à Paris, cela devient très compliqué pour quelqu'un qui vit au coeur de la Picardie.  

    Dans le même temps, le bloc du haut - qui repose en fait sur 30 à 40% de la population, et non seulement ce 1% qui est une escroquerie et qui renvoie quasiment à une théorie du complot - est en train de faire sécession. Demain, nous aurons certainement des partis qui représenteront cette France de la mondialisation et des métropoles... Peut-être Macron est-il ce candidat-là, rassemblant les libéraux de droite et de gauche. Ce qui serait cohérent... D'ailleurs, il peut être estimé pour cela: il n'avance pas masqué et met cartes sur table. 

    On assisterait dès lors à une polarisation du paysage politique: le "ni droite ni gauche d'en bas" représenté par Marine Le Pen, versus le "ni droite ni gauche d'en haut" incarné par Emmanuel Macron... Or numérairement, les premiers sont plus nombreux. Est-ce à dire que le FN pourrait l'emporter? 

    N'oubliez pas que "La France d'en haut" ne se résume pas seulement aux "élites", mais à tous ceux qui bénéficient de la mondialisation ou en sont protégés. Cela représente un très vaste électorat qui, en plus, "survote". Par ailleurs, le FN n'est pas le Parti communiste des années 1950. Oui, c'est une masse très importante d'électeurs; c'est un parti qui existe le soir des élections mais qui n'existe pas vraiment dans la vie réelle. Il ne structure pas la société comme jadis le Parti communiste, avec des militants partout, des journaux, des télés... C'est toute la différence entre Marine Le Pen et Donald Trump: Trump avait le Parti républicain avec lui.  

    Mais la présidentielle est une élection particulière, la seule où les classes populaires votent. Par ailleurs, les thématiques portées par le FN sont désormais culturellement majoritaires (régulation des flux migratoires, contestation de la mondialisation). Pour l'instant, ce qui fait défaut au Front national, ce sont les plus de 60 ans, et singulièrement les retraités issus de ces catégories, "les retraités populaires" (expression que j'ai forgée avec le sociologue Serge Guérin).  

    Ce n'est pas le moindre des paradoxes, mais, dans cette France qui ne jure que par le jeunisme, où l'on voit le vieillissement de la population comme un phénomène porteur de réaction, voire de populisme, les seniors en sont le rempart! 

    Christophe Guilluy, propos recueillis par Alexis Lacroix et Anne Rosencher (L'Express, 21 février 2017)

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  • Le mépris de classe de la caste politico-médiatique...

     Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Christophe Guilluy au Point et consacré à son analyse du phénomène populiste... Géographe, Christophe Guilluy est l'auteur de plusieurs essais marquants comme Fractures françaises (Bourin, 2010), La France périphérique (Flammarion, 2014) ou, dernièrement, Le crépuscule de la France d'en haut (Flammarion, 2016).

     

    Guilluy_France d'en-haut.jpeg

    "Faire passer les classes populaires pour fascisées est très pratique"

    Le Point.fr : L'élection d'un populiste comme Donald Trump ne semble pas vous étonner. Un tel scénario pourrait-il advenir en France ?

    Christophe Guilluy : Étant donné l'état de fragilisation sociale de la classe moyenne majoritaire française, tout est possible. Sur les plans géographique, culturel et social, il existe bien des points communs entre les situations françaises et américaines, à commencer par le déclassement de la classe moyenne. C'est « l'Amérique périphérique » qui a voté Trump, celle des territoires désindustrialisés et ruraux qui est aussi celle des ouvriers, employés, travailleurs indépendants ou paysans. Ceux qui étaient hier au cœur de la machine économique en sont aujourd'hui bannis. Le parallèle avec la situation américaine existe aussi sur le plan culturel, nous avons adopté un modèle économique mondialisé. Fort logiquement, nous devons affronter les conséquences de ce modèle économique mondialisé : l'ouvrier – hier à gauche –, le paysan – hier à droite –, l'employé – à gauche et à droite – ont aujourd'hui une perception commune des effets de la mondialisation et rompent avec ceux qui n'ont pas su les protéger. La France est en train de devenir une société américaine, il n'y a aucune raison pour que l'on échappe aux effets indésirables du modèle.

    Vous considérez que personne n'a vu venir le phénomène Trump ou le Brexit, car les représentations des classes populaires sont erronées…

    Dans l'ensemble des pays développés, le modèle mondialisé produit la même contestation. Elle émane des mêmes territoires (Amérique périphérique, France périphérique, Angleterre périphérique… ) et de catégories qui constituaient hier la classe moyenne, largement perdue de vue par le monde d'en haut.

    Oui, la perception que des catégories dominantes – journalistes en tête – ont des classes populaires se réduit à leur champ de vision immédiat. Je m'explique : ce qui reste aujourd'hui de classes populaires dans les grandes métropoles sont les classes populaires immigrées qui vivent dans les banlieues c'est-à-dire les minorités : en France elles sont issues de l'immigration maghrébine et africaine, aux États-Unis plutôt blacks et latinos. Les classes supérieures, qui sont les seules à pouvoir vivre au cœur des grandes métropoles, là où se concentrent aussi les minorités, n'ont comme perception du pauvre que ces quartiers ethnicisés, les ghettos et banlieues... Tout le reste a disparu des représentations. Aujourd'hui, 59 % des ménages pauvres, 60 % des chômeurs et 66 % des classes populaires vivent dans la « France périphérique », celle des petites villes, des villes moyennes et des espaces ruraux.

    Pour expliquer l'élection de Trump, les médias américains évoquent « la vengeance du petit blanc ». Un même désir de vengeance pourrait-il peser dans la prochaine élection française ?

    Faire passer les classes moyennes et populaires pour « réactionnaires », « fascisées », « pétinisées » est très pratique. Cela permet d'éviter de se poser des questions cruciales. Lorsque l'on diagnostique quelqu'un comme fasciste, la priorité devient de le rééduquer, pas de s'interroger sur l'organisation économique du territoire où il vit. L'antifascisme est une arme de classe. Pasolini expliquait déjà dans ses Écrits corsaires que depuis que la gauche a adopté l'économie de marché, il ne lui reste qu'une chose à faire pour garder sa posture de gauche : lutter contre un fascisme qui n'existe pas. C'est exactement ce qui est en train de se passer.

    C'est-à-dire ?

    Il y a un mépris de classe presque inconscient véhiculé par les médias, le cinéma, les politiques, c'est énorme. On l'a vu pour l'élection de Trump comme pour le Brexit, seule une opinion est présentée comme bonne ou souhaitable. On disait que gagner une élection sans relais politique ou médiatique était impossible, Trump nous a prouvé qu'au contraire, c'était faux. Ce qui compte, c'est la réalité des gens depuis leur point de vue à eux. Nous sommes à un moment très particulier de désaffiliation politique et culturel des classes populaires, c'est vrai dans la France périphérique, mais aussi dans les banlieues où les milieux populaires cherchent à préserver ce qui leur reste : un capital social et culturel protecteur qui permet l'entraide et le lien social. Cette volonté explique les logiques séparatistes au sein même des milieux modestes. Une dynamique, qui n'interdit pas la cohabitation, et qui répond à la volonté de ne pas devenir minoritaire.

    Donc pour vous les élites essaieraient de « rééduquer le peuple » plutôt que de le régler ses problèmes ?

    La bourgeoisie d'aujourd'hui a bien compris qu'il était inutile de s'opposer frontalement au peuple. C'est là qu'intervient le « brouillage de classe », un phénomène, qui permet de ne pas avoir à assumer sa position. Entretenue du bobo à Steve Jobs, l'idéologie du cool encourage l'ouverture et la diversité, en apparence. Le discours de l'ouverture à l'autre permet de maintenir la bourgeoisie dans une posture de supériorité morale sans remettre en cause sa position de classe (ce qui permet au bobo qui contourne la carte scolaire, et qui a donc la même demande de mise à distance de l'autre que le prolétaire qui vote FN, de condamner le rejet de l'autre). Le discours de bienveillance avec les minorités offre ainsi une caution sociale à la nouvelle bourgeoisie qui n'est en réalité ni diverse ni ouverte : les milieux sociaux qui prônent le plus d'ouverture à l'autre font parallèlement preuve d'un grégarisme social et d'un entre-soi inégalé.

    Vous décrivez le modèle économique libéral comme « prédateur » du modèle républicain… Vous y allez un peu fort !

    Nous, terre des lumières et patrie des droits de l'homme, avons choisi le modèle libéral mondialisé sans ses effets sociétaux : multiculturalisme et renforcement des communautarismes. Or, en la matière, nous n'avons pas fait mieux que les autres pays.

    Seul le FN semble trouver un écho dans cette France périphérique...

    Le FN n'est pas le bon indicateur, les gens n'attendent pas les discours politiques ou les analyses d'en haut pour se déterminer. Les classes populaires font un diagnostic des effets de plusieurs décennies d'adaptation aux normes de l'économie mondiale et utilisent des candidats ou des référendums, ce fut le cas en 2005, pour l'exprimer.

    Comment percevez-vous le phénomène Macron ?

    Il y a au moins une chose qu'on ne peut pas lui reprocher : il n'avance pas masqué ! Il ne cherche pas à faire semblant de tenir un discours « de gauche ». Il dit : « pour s'en sortir, il faut encore plus de libéralisme » ce qui est assez cohérent intellectuellement et assez représentatif de ce qu'est devenue la gauche.

    Christophe Guilluy, propos recueillis par Clément Pétreault (Le Point, 16 novembre 2016)

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